🌱 Cette semaine, on vous explique pourquoi les annonces du gouvernement sur les pesticides font débat. Nous sommes ravis de vous présenter la toute nouvelle version de Brief.science, conçue pour mieux répondre à vos attentes. Pour cette édition inaugurale, nous avons choisi d’aborder le récent débat sur la mesure des pesticides en France. Nous espérons que cette nouvelle formule saura vous plaire ! |
La mesure de l’usage des pesticides en débat
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En résumé
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☣️ Les pesticides de synthèse, largement diffusés dans l’agriculture depuis les années 1950, présentent un risque pour la santé humaine et pour l’environnement. 📏 Pour suivre la quantité de pesticides diffusés dans les champs, la France utilisait jusqu’ici un indicateur appelé « Nodu », qui s’exprime en hectares. ⚔️ Le nouvel indicateur « HRI-1 » est censé mieux prendre en compte la dangerosité des produits, mais il est controversé. |
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Pourquoi on en parle
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Une nouvelle façon de mesurer les pesticides
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Le 21 février, le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé lors d’une conférence de presse la fin du Nodu, un indicateur utilisé pour suivre l’usage des pesticides en France. Calculé à partir des ventes de produits phytopharmaceutiques, il mesure depuis 2008 l’évolution du plan Écophyto (lancé la même année), qui vise à réduire l’usage des pesticides en France. Le Nodu sera remplacé par un indicateur européen, l’indicateur de risque harmonisé (HRI-1), conformément aux revendications du principal syndicat agricole, la FNSEA, a ajouté Gabriel Attal. Contrairement au Nodu, le calcul du HRI-1 s’appuie sur des coefficients censés refléter la dangerosité des substances actives (les molécules qui agissent sur les nuisibles). Pour les organisations de défense de l’environnement et de la santé, cette décision « signe la mort » du plan Écophyto. Le Premier ministre a cependant affirmé ne pas vouloir « renoncer à l’ambition de réduire de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2030 » par rapport à 2008. |
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L’explication
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Des indicateurs pour orienter les décisions politiques
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● Comment sommes-nous exposés aux pesticides ?
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Les pesticides de synthèse, largement diffusés dans l’agriculture depuis les années 1950, ont permis de diminuer les pertes de récoltes dues aux ravageurs comme les pucerons. Mais ces substances présentent un risque pour la santé humaine et pour l’environnement. De nombreuses études ont démontré « des liens entre l’exposition aux pesticides, en particulier en milieu professionnel, et le risque d’apparition de pathologies cancéreuses, neurologiques ou encore de troubles de la reproduction », rapporte le ministère de la Transition écologique sur son site. Lorsqu’ils sont appliqués sur les cultures, les pesticides peuvent être absorbés par les racines et se retrouver dans les fruits et les légumes. « Les appareils de mesure sont de plus en plus perfectionnés, il est donc normal de retrouver des traces de pesticides dans les aliments », explique à Brief.science Corentin Barbu, membre du comité scientifique du plan Écophyto. Près de 5 % des fruits et des légumes issus de l’agriculture conventionnelle dépassent les seuils de dangerosité fixés par l’Anses, un établissement public, selon un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes publié en 2019. |
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3,7
kg par hectare
La France, qui possède la plus vaste surface agricole de l’Union européenne, a utilisé en moyenne 3,7 kg de pesticides par hectare (l’équivalent d’un carré de 100 m de côté) de terres cultivées en 2021, selon les données les plus récentes de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). C’est un peu plus que la moyenne des 30 pays européens étudiés cette année-là (3,4 kg par hectare). Les Pays-Bas sont le premier consommateur européen de pesticides avec 10,9 kg de substances actives par hectare. |
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● Comment la France mesurait-elle l’usage des pesticides jusqu’ici ?
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Afin de suivre la quantité de pesticides diffusés dans les champs, la France utilise le Nodu comme principal indicateur depuis 15 ans. Il s’exprime en hectares. Pour le calculer, on prend en compte la quantité de pesticides vendue sur un an dans le pays et on calcule combien de millions d’hectares on pourrait traiter avec cette quantité, en suivant les recommandations de dosage maximal pour chaque produit, explique le ministère de l’Agriculture sur son site. Le dosage maximal, soit la dose la plus élevée de substance pouvant être pulvérisée sur un hectare, rend compte de la toxicité du produit. Le Nodu est supérieur à la surface agricole française (26,7 millions d’hectares), car les cultures sont généralement traitées plusieurs fois. La France est passée d’un Nodu de 82 millions d’hectares en 2009 à 89 millions d’hectares en 2022, selon les données du ministère. « Il existe également une version plus spécifique du Nodu, qui ne prend en compte que les substances qualifiées dans le Code du travail de cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques », c’est-à-dire toxiques pour la reproduction, précise Corentin Barbu. « Cet indicateur a diminué de 40 % entre 2009 et 2020 », explique-t-il dans un article de The Conversation.« Cela montre que les agriculteurs ont fait un véritable effort », ajoute le chercheur. |
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● Que va changer le nouvel indicateur européen ?
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Une chercheuse analyse des pesticides avec un spectromètre de masse.
Crédit photo : Laurent Mignaux / Terra.
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Une partie des agriculteurs reprochent au Nodu standard de ne pas tenir compte des efforts réalisés pour utiliser des substances moins nocives. Remplacer un pesticide par un autre moins performant nécessite des applications plus fréquentes, explique à l’AFP le président de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales, Éric Thirouin. De ce fait, le Nodu augmente alors que le nouveau produit utilisé est moins dangereux, ajoute-t-il. Contrairement au Nodu, le HRI-1 s’appuie sur des coefficients (1, 8, 16 et 64) attribués « en fonction de la dangerosité des substances actives », mais la plupart des scientifiques contestent leur pertinence. « 80 % des substances ont des coefficients 8 », déplore Corentin Barbu. Selon lui, la meilleure façon d’évaluer la toxicité d’une substance est de se référer au dosage maximal utilisé, comme le fait le Nodu. En effet, le dosage maximal utilisé varie facilement de 1 à 1000 suivant les molécules. À l’inverse, le HRI-1 évalue surtout le poids des substances utilisées. « Il suffit de remplacer une molécule par une autre de même activité, mais beaucoup moins lourde, pour faire diminuer le coefficient du HRI-1, sans que la toxicité dans les champs ait diminué », précise le scientifique, qui note une tendance de l’industrie phytosanitaire à développer des molécules plus légères. |
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L’avancée
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L’initiative des fermes Dephy
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Des agriculteurs se rassemblent pour discuter du binage du maïs.
Crédit photo : Les réseaux Dephy Normandie.
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Depuis 2010, le réseau Dephy Ferme regroupe 3 000 exploitations agricoles en France « engagées dans une démarche volontaire de réduction de l’usage de pesticides », explique le ministère de l’Agriculture sur son site. Les fermes Dephy couvrent l’ensemble des grandes filières de production française (grandes cultures, polyculture-élevage, légumes-maraîchage, etc.). Ces fermes utilisent par exemple des insectes prédateurs pour contrôler les ravageurs, comme les coccinelles pour éliminer les pucerons. Elles alternent différentes cultures sur une même parcelle de terre, rompant ainsi le cycle de vie des ravageurs spécifiques à une culture. Certaines fermes utilisent des techniques de désherbage mécanique (labour, désherbage thermique, etc.) à la place d’herbicides chimiques. Dans une synthèse parue en 2023, le réseau Dephy Ferme affirme que grâce à ces techniques, l’ensemble de ses cultures a enregistré une « baisse significative » de l’usage des pesticides au cours des 10 dernières années. |
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Le saviez-vous ?
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Les pesticides sont utilisés depuis l’Antiquité
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Une gravure représentant des agriculteurs.
Crédit photo : Wikimedia Commons.
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À partir de 1000 avant J.-C., dans la Grèce antique, le soufre était brûlé ou chauffé pour produire de la fumée à proximité des cultures pour lutter contre les parasites et protéger les cultures (céréales, vignes, etc.). Au Ier siècle, Pline l’Ancien, naturaliste romain, recommande dans ses écrits l’usage de l’arsenic dans la viticulture contre les insectes nuisibles. En 1135, le philosophe Maïmonide rédige un « Traité des poisons » qui répertorie diverses substances toxiques et leurs effets. L’aconit, une herbe, est par exemple employé au Moyen-Âge contre les rongeurs. |
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Vous venez de lire la première édition de notre nouvelle formule. Une question ? Une critique ? Une suggestion de sujet ? Écrivez-nous ! |
Cette édition a été confectionnée par Morgane Guillet, Imène Hamchiche et Laurent Mauriac. Elle a bénéficié de la relecture de Corentin Barbu, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et membre du comité scientifique et technique du plan Écophyto. |
Photo de couverture : Un tracteur pulvérise des pesticides. Crédit photo : Unsplash. |
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