À la recherche du silence
Une coureuse réfléchit à ce qu'il faut pour trouver la tranquillité dans le monde, et dans nos esprits.
Toutes les photos sont de Steven Gnam
Sur un sentier forestier, au petit matin, le soleil et la brume s’amusent à créer des rayons de lumière entre les arbres. L’air est immobile. Les feuilles mortes alourdissent le sol, resté humide de la dernière pluie. À chaque foulée, j’avance dans la journée, en écoutant le chœur de la Nature : la stridulation des insectes, le coassement des grenouilles, le chant des oiseaux. Les feuilles qui tombent sur le sol. Les doux glouglous d’un petit ruisseau. Mon esprit s’apaise. Mais bientôt le matin laisse place à l’agitation de la journée, alors que le reste du monde se réveille, plus bruyant chaque minute.
Il y a tant de bruit dans nos vies. Devant nos fenêtres, une alarme de voiture se déclenche, un moteur gronde et une sirène d’ambulance gémit. Dans nos mains, nos e-mails nous appellent et nos téléphones sonnent. Le bruit s’installe partout, même à notre insu. Nous portons des casques anti-bruit et mettons de la musique pour nous noyer dans encore plus de son. Même en l’absence de bruit fort, il reste un bruit de fond.
Pour beaucoup d’entre nous, le monde est souvent trop bruyant. Le silence est en déclin. Chaque génération entend plus de bruit que la précédente. Notre présence sur la Terre et notre mobilité augmentent, tout comme le nombre de routes, d’autoroutes et d’avions. Nous fuyons loin des villes, emportant avec nous ce que nous voulons fuir. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la pollution sonore contribue au stress, à l’anxiété et à la dépression. Les recherches montrent qu’une exposition prolongée à des bruits à basse fréquence est physiquement et psychologiquement épuisante. Et le bruit n’est pas le seul élément à perturber notre vie quotidienne. Nos esprits sont également encombrés.
Le chaos domine les actualités. La pandémie change sans cesse de forme. Le changement climatique provoque catastrophe sur catastrophe. Les prix des logements se sont envolés. La Cour Suprême a récemment aboli une décision qui protégeait le droit des femmes à disposer de leur propre corps. À l’heure où j’écris ces lignes, début 2022, les forces russes assassinent le peuple ukrainien.
Pour moi, seule la course fait vraiment taire ce bruit. C’est comme une nécessité. C’est une nécessité.
Les bruits de la Nature contribuent à réguler le système nerveux. Dans la forêt humide de Hoh, au cœur du Parc national Olympic, se trouve l’un des espaces naturels les plus calmes de l’État de Washington et de toute l’Amérique du Nord. Gordon Hempton, écologiste du son et militant pro-silence naturel, a fait campagne pour protéger le calme naturel de cet endroit.
Le Parc national Olympic a une superficie de 3625 km² dont 95 % de nature sauvage protégée, et la forêt humide de Hoh abrite certains des plus grands peuplements de forêts anciennes du continent américain. On y voit des érables à grandes feuilles, des aulnes, des cèdres, des épicéas de Sitka et des sapins de Douglas. Des polypodes réglisse, des lycopodiopsida et des buissons. Le parc abrite 1 200 variétés de plantes, plus de 300 espèces d’oiseaux, 15 rivières et 200 ruisseaux. Les saumons migrent et frayent dans les rivières.
Hempton pense qu’il reste peu de lieux dans le monde où l’on peut écouter le silence naturel pendant plus de 20 minutes sans être interrompu par des avions, des voix humaines ou des sons artificiels. Il a fait pression auprès des compagnies aériennes afin qu’elles changent leurs plans de vol pour préserver le calme de Hoh. Aucune route ne traverse le parc. Il n’y a pas de tourisme aérien. On espère qu’en préservant le moindre mètre carré de ce silence naturel, les espaces environnants en profiteront aussi.
Mais même les lieux que nous considérons comme calmes, y compris ceux que nous recherchons, comme les environnements sauvages, peuvent être bruyants. D’autres humains les fréquentent, et leurs voix sont portées par le vent. Les portières des voitures s’ouvrent et se ferment sur les parkings.
Même la nature la plus reculée n’est pas vraiment silencieuse. Les glaciers, les forêts humides, les lacs et les ruisseaux peuvent être assez bruyants. Les feuilles tombent des arbres. La pluie, le vent et les oiseaux viennent ponctuer le silence. On dit que les dunes du Sahara fredonnent. Dans la forêt humide de Hoh, les mousses gouttent constamment, le cri aigu du Pygargue à tête blanche interrompt le bruit habituel de la forêt, et le vent siffle à travers les feuilles crissantes de la canopée. Les lieux les plus calmes de la Terre sont des espaces ouverts, souvent dans les coins les plus reculés du monde.
Mais la plupart d’entre nous n’a jamais entendu la véritable absence de sons.
La chambre anéchoïque du siège de Microsoft à Redmont, dans l’État de Washington, utilisée pour tester les équipements audio, est le lieu le plus silencieux au monde, avec un bruit de fond testé à -20,6 décibels. Il n’y a absolument aucun écho. Mais même dans un lieu vraiment silencieux, l’oreille humaine est si sensible que l’activité spontanée dans les fibres du nerf auditif augmente l’amplification. Selon Trevor Cox, auteur de The Sound Book, notre corps fait des bruits internes que même une chambre anéchoïque ne peut atténuer.Nous entendons notre rythme cardiaque, notre circulation sanguine, les bruits de digestion, un bourdonnement dans notre oreille. Cette expérience est parfois décrite comme « assourdissante ».
C’est alors que j’ai commencé à réfléchir à une autre définition possible du silence. Ce n’est peut-être pas l’absence de sons, mais plutôt le fait de se débarrasser des pensées qui viennent l’encombrer : un esprit tranquille. C’est une pratique qui existe depuis des siècles, et qui s’incarne dans des retraites silencieuses ou la méditation quotidienne. Il a été prouvé que la méditation améliore le calme, la relaxation physique, l’équilibre psychologique et le bien-être général. Toutes les formes de méditation comprennent une concentration sur la respiration et une suppression des distractions afin de laisser place à la paix intérieure. C’est quelque chose que je trouve en courant. Le romancier Haruki Murakami appelle ça « courir l’esprit vide ».
Quand je commence à courir, mon esprit commence à s’évader. La terre est dure, glacée, l’air frais et vif. Les feuilles crissent sous mes pieds. Je trouve mon rythme, avec quelques respirations profondes. L’odeur des cèdres, des sapins et des pins flotte dans l’air. Je commence à lâcher prise, à me libérer des moments où je me réveille en panique, de la longue liste quotidienne des choses à faire, des tactiques que j’emploie pour me fermer à moi-même. Pendant la course, la rivière coule et avec elle, mon esprit se ralentit. Le rythme effréné du monde coule dans ce calme cérébral naturel. Tout se relâche, comme si le temps se suspendait à chaque foulée. C’est ça, le silence.
Je ne pense à rien. Rien, c’est agréable. Peut-être n’avons-nous pas besoin d’absence de son. Peut-être avons-nous tout simplement besoin de cela. La forêt est tranquille : il n’y a que la rivière et moi, qui courons. »
Découvrez-en plus sur l’expérience du silence et de la nature sur Patagonia.com/Stories, où vous trouverez un court-métrage en co-création avec Pop-Up Magazine.